« Un homme protège sa femme, il ne la maltraite pas ». Cette affirmation, souvent entendue, participe du mythe tenace de « l’homme protecteur » dans notre société patriarcale. Pourtant, lorsqu’on y regarde de plus près, ce mythe apparaît comme une vaste supercherie visant à dissimuler et perpétuer la domination masculine.
L’amour n’est pas censé faire mal
Trop souvent, la violence conjugale est encore banalisée, voire romancée. Le message que reçoivent nombre de femmes dès l’enfance est que l’amour nécessite des sacrifices, qu’« il n’y a pas de rose sans épines ». Résultat : des femmes restent prisonnières de relations toxiques, pensant paradoxalement que c’est ça, le « vrai amour ».
Or l’amour ne devrait jamais faire mal. Bien sûr, il demande des efforts et tout couple traverse des épreuves. Mais quand l’estime de soi s’effrite jour après jour, quand la peur et l’humiliation deviennent la norme, ce n’est plus de l’amour. Un homme qui aime sincèrement ne cherche pas à rabaisser sa compagne ou à lui briser le cœur.
Le protecteur ou le prédateur ?
Face à ce constat, nombre d’hommes mettent en avant leur rôle de « protecteur » pour justifier les inégalités persistantes entre les sexes. Las, les statistiques et l’histoire nous racontent une toute autre histoire :
- Sur 13victimes de l’incendie du Bazar de la Charité en 1897, 123 étaient des femmes ou des enfants piétinés par des hommes en fuite
- Lors du naufrage du Costa Concordia en 2012, des passagers masculins ont extirpé de force des femmes et des enfants des canots de sauvetage
- Une étude portant sur 18 naufrages révèle un taux de survie deux fois moindre pour les femmes par rapport aux hommes
Bref, la fameuse règle des « femmes et des enfants d’abord », maintes fois glorifiée, est plus mythique que réelle. Même les qualités dites « viriles » comme le courage et l’abnégation semblent bien souvent lâcher prise face au risque de mort imminent.
Précarité économique organisée
Autre argument phare des tenants de la « protection masculine » : la sécurité financière qu’un conjoint est censé apporter à sa famille. Là encore, derrière les discours égalitaires se cache une manipulation de grande ampleur :
- Les femmes gagnent toujours en moyenne 20% de moins que les hommes à poste égal
- Le travail domestique, assuré majoritairement par les femmes, n’est pas rémunéré
- Après un divorce, 40% des pensions alimentaires ne sont pas versées
Difficile dans ces conditions de parler de réelle « protection économique ». C’est même tout le contraire : en maintenant les femmes dans une situation de précarité financière, la société patriarcale s’assure qu’elles restent dépendantes des hommes pour « surnager ».
Le viol : une arme de domination masculine
Autre grande mystification : celle de l’homme protecteur nous prémunissant contre la violence d’autres hommes. Or quel est le premier facteur d’insécurité pour les femmes ? Ni une attaque terroriste, ni une catastrophe naturelle, mais bel et bien les violences conjugales. En France, une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint. Et près de 80% des viols sont commis par un proche de la victime.
En organisant sciemment la vulnérabilité économique et physique des femmes, en entretenant un système judiciaire complaisant avec les agresseurs, la société patriarcale crée elle-même les conditions du danger dont elle prétend ensuite protéger les femmes. Un protecteur qui joue également le pyromane…
Dépendance masculine occultée
Sous couvert de protection, c’est en réalité une relation de dépendance qui s’installe. Dépendance des femmes qui, précarisées de toutes parts, n’ont souvent d’autre choix que de se placer sous la coupe d’un homme. Mais également dépendance des hommes eux-mêmes, qui sans les femmes pour gérer leur quotidien sombreraient bien souvent dans le chaos et l’autodestruction, comme en attestent de nombreuses études.
Preuve ultime de cette inversion des rapports de force réels : la longévité accrue des hommes mariés par rapport aux célibataires, alors que c’est l’inverse chez les femmes. Loin d’être une protection, le mariage est bien souvent, pour les hommes, un filet de sécurité permettant d’échapper aux responsabilités de la vie adulte.
Vers une société véritablement protectrice ?
Il est plus que temps de déconstruire le mythe de l’homme protecteur, néfaste aux femmes mais également aux hommes, à qui il impose un carcan viriliste intenable. Seule une société qui ne créerait plus les conditions de sa propre violence pourrait être véritablement protectrice, aussi bien pour les femmes que pour les hommes.
Cela suppose de repenser en profondeur nos modèles économiques et judiciaires actuels, mais aussi nos représentations genrées véhiculées dès l’enfance. Un long chemin, mais qui passe avant tout par une prise de conscience : celle que derrière le masque du protecteur se cache trop souvent le visage du prédateur.